Annalisa BOTTACIN Stendhal e Firenze.(1811-1841). Liminaire de V.
DEL LITTO, Moncalieri,
CIRVI, « Bibliothèque Stendhal » fondée par V. DEL LITTO, n. 6,
Studi, 272 p. (Collection « Stendhal Club »).
VICTOR DEL LITTO
LIMINAIRE
Dans trois de ses derniers testaments respectivement datés des 8 juin
1836, 27 septembre 1837 et 28 septembre 1840, Stendhal a exprimé le
souhait que sur la pierre tombale de sa dernière demeure figure, en
italien, l’inscription: « Qui giace Arrigo Beyle Milanese ». Son cousin et
exécuteur testamentaire Romain Colomb a respecté sa volonté. A notre
tour, nous avons fidèlement reproduit l’inscription sur sa tombe rénovée
en 1961 au cimitière Montmartre. L’afflux sans cesse croissant des
visiteurs, stendhaliens voire simples curieux, a bientôt fait de cette
inscription un véritable poncif. Mais la spécificité du « Milanais »
n’étant pas évidente, le glissement de « Milanais » à « Italien » était
inévitable, et il n’a pas tardé à se produire. A preuve le titre
significatif du premier ouvrage sérieux publié en deça des Alpes en 1915
par Francesco Novati « Stendhal e l’anima italiana ». Pour rien au monde
l’auteur n’aurait voulu être soupçonné de se livrer à une quelconque
motivation de clocher, ce que Stendhal appelait « patriotisme
d’antichambre ». Depuis, personne, que je sache, n’a réagi contre
l’amalgame. Surtout aucun Milanais de souche. Et on les comprend:
comment révendiquer une quelconque parenté avec ce frère tombé
inopinément du ciel? L’indifférence a été donc de règle. On n’objectera
que la Bibliothèque communale de Milan, qui a accueilli dans les locaux
du palais Sormani les livres que Stendhal avait laissés à sa mort à
Civitavecchia, s’est enrichie en 1980 d’une superbe plaque de marbre
pour perpétuer le souvenir de l’événement. Ce qu’on a passé sous silence
à cette occasion, ce sont les noms des stendhaliens français et
étrangers qui avaient pris l’initiative du transfert des livres de
Stendhal. Comme par hasard, pas un seul Milanais. C’est pourquoi nous
avons été obligé de faire une mise au point – mettre les pendules à
l’heure, comme on dit familièrement – dans l’essai que nous avons
consacré à cette affaire (« Les Bibliothèques de
Stendhal« , Champion, 2001) afin de redistribuer les rôles et de
le cri de cœur du vieil homme qui, évoquant sa jeunesse, est comme
submergé par l’émotion éprouvée par la découverte de Milan en 1800 et du
« bonheur fou » qui s’était emparé de lui. Milan était ainsi devenue la
patrie du « sublime ». Il n’en est pas de même de la plénitude éprouvée en
d’autres temps, à l’âge mûr, à Florence. Stendhal y a trouvé la
plénitude de l’esprit. Florence, la seule ville de la péninsule en
mesure de lui donner les « mètres cubes » d’idées quotidiennes dont son
esprit avait besoin.
En soi, le sujet n’est pas, aujourd’hui, une
découverte. Le Cabinet scientifique-littéraire de Jean Pierre Vieusseux
a déjà fait l’objet de nombreux travaux dont plusieurs remarquables.
Fallait-il affirmer pour autant que tout avait été dit ? La réponse,
négative, vient d’être fournie par Mme Annalisa Bottacin qui a entrepris
de s’engager dans des pistes inexplorées jusqu’ici. Ainsi a-t-elle été
mise même de découvrir des textes inédits de Stendhal et, surtout, de
mettre en lumière la personnalité de Vincenzo Salvagnoli, homme de
lettres né près de Florence, de vingt ans plus jeune que Stendhal et
avec qui celui-ci a sympathisé, au point de s’entretenir avec lui de ses
plus secrètes pensées et entreprendre avec lui une analyse critique de
son roman « le Rouge et le Noir » qui venait de paraître.
C’est dire combien les recherches de Mme Bottacin ont été fructueuses, et
combien il faut l’en féliciter. Elles complètent les extraits du journal
de Salvagnoli jadis publiés par Luigi Foscolo Benedetto et le placent au
premier plan des hommes de lettres avec qui Stendhal pouvait se livrer
au plaisir de converser, débattre des idées, en un mot, de causer, dans
toute l’acception du terme, plaisir quasiment inexistant en Italie.
Aussi les liens de Stendhal avec Florence seront-ils désormais durables
et inaltérables. A preuve, c’est dans cette ville, à l’enseigne du
Cabinet Vieusseux que paraîtra, en 1841, le livre écrit en collaboration
avec A. Constantin « Idées italiennes sur quelques tableaux
célèbres » qu’on peut – on doit – considérer comme le
testament stendhalien dans le domaine de l’esthétique. En guise de
conclusion la révalorisation par Mme Bottacin du rôle joué par Florence
se substitue, sans le contredire, au mythe de Milan.
V. DEL LITTO
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